Christine Bonduelle
Water music
1
Curled on the couch, I read Heaney,
the earlier, watery poems
where the words themselves seem wet;
they lap and spill from the pagelike the run of stars on a cold night.
The river is grey with drifts
of wind stroking it to ripples
–fish scales, turtle shells –
one lane remains untouched,
blue-silver as sleek dolphin backs.
I turn the pages and Undine
unfolds her yielding body,
gleaming like mercury,
the seal woman dips her skin
and returns to cool current.
My son cries from his cot,
his voice matching the cartwheel
-call of gulls across the water.
I lift my head and the Channel
is all mirror; lullaby calm.
The net the fishermen pull
is full of grief: the stilled voice
of a tiny child, mouth lugging
water to pores and cells;
limbs washed to myth.
As the river lifts its face
to the shrouded sky, the soft dance
of rain is the sound of my boys
plashing in peat-dark puddles,
their joy a dance of water.
2
2am. The sky is awash
with milky stars, the breeze
scudding the sea to peaks.
I'm listening to faint notes
rising like bubbles in a glass,
they lift off the waves, and haunt
my footsteps on the damp grass.
I've come for wood.
The darkness and cool wind
wrap around me, sifting
the indentations my feet make.
I lean into trees, feel night-breath
gust past, filling me with shadowy wings:
fleet lift of owl slashing the black,
soft flap a foil for scissor-sharp cut, face like foam blown from a wild sea.
And I hear the cry,
the piercing anguish
that could be mouse-shriek, rabbit-fear,
but know it as my child pulled from the deep like a netted fish gasping for air.
The notes are gone, the garden dark and filled with the turned-away faces of stars.
Chant d'eau
1
Enroulée sur le divan je lis Heaney,
les premiers poèmes liquides où
les mots eux-mêmes semblent mouillés ;
ils clapotent et s’écoulent de la page,
parcours d’étoiles dans une froide nuit.
La rivière est grise des mouvements
du vent qui la caresse et la plisse
–écailles depoisson, carapaces de tortue –
un passage reste lisse, bleu-argent
comme les dos vifs des dauphins.
e tourne les pages et Ondine
déploie son corps consentant,
étincelant comme du mercure,
la femme phoque trempe son pelage
et retourne dans le frais courant.
Mon fils pleure dans son berceau,
sa voix assortie au cri d’essieu
des mouettes en travers de l’eau.
Je lève la tête et le détroit n’est qu'un miroir ; berceuse accalmie.
Le filet que ramènent lespêcheurs
est plein de chagrin : la voix calmée
d’un petit enfant sa bouche acheminant
l’eau jusqu’aux pores et aux cellules ;
ses membres emportés jusqu’au mythe.
Comme la rivière soulève sa surface
jusqu’au ciel voilé, la douce danse
de la pluie est le chant de mes garçons
qui pataugent dans des flaques
noires de tourbe, leur joie
une danse liquide.
2
Deux heures du matin. Le ciel est inondé
par la voie lactée, la brise
hérisse la mer de pics.
J’écoute des notes indistinctes
montant comme des bulles
dans un verre, elles s’échappent
des vagues, et poursuivent
mes pas dans l’herbe humide.
Je suis venue chercher du bois.
L’obscurité et le vent frais
m’enveloppent et tamisent
la marque de mes pas.
Je me penche vers les arbres,
je sens l’haleine de la nuit
passer en rafales, m’emplissant d’ailes ombreuses : le rapide envol
de la chouette lacère le noir,
doux battement d’une feuille
au tranchant des ciseaux, sa face
comme l’écume soufflée
de la mer sauvage.
Et j’entends l’appel,
la vrillante angoisse
qui pourrait être couinement de souris,
peur de lièvre, mais je le reconnais :
c’est celui de mon enfant
tiré des profondeurs
comme un poisson pris au filet,
asphyxié par l’air.
Les notes se sont tues,
le jardin noir plein
du visage renversé des étoiles.
The maze
Mud is what she remembers most,
the kind that sucks and slurps
as it betrays the body,
quick sand pulling her to where
air is thick with gravel,
where her body is a battlefield.
The lump they lifted clear
was stone to her, its hurtful
drumming like a dance of anger
vanished in the thick seams
that now bind her breast back to itself.
She is lost, underground, without
Orpheus or any guide. This is the maze
without the minotaur; where the fresh
blue cut of sky is a fading memory.
Mostly she knows this is a fairy tale,
a grim one, where swathes of hair
are hacked off to plait a rope
to lead her to the surface, or else to lay
in patterns in the darkening woods
to puzzle her way back. There is no one
else at all, just this body
and her once brave head spinning
under the soil’s glittering stars.
This is the journey where a woman
is shape-changed to a youth whose virtue
defeats evil, craving courage
instead of head-in-hands howling,
finding kindness where normally
she would not look.
It is looking that is most difficult,
facing the future with a clear-eyed gaze
that claims :send black ravens,
dragons from the west country,send hags, crones,
mad men, wild horses;I will find my way home.
Le labyrinthe
La boue dont elle se souvient le mieux
de celle qui pompe et suce
de celle qui trahit le corps,
sable mouvant tirant vers là
où l’air est épaissi de graviers, là
où son corps est un champ de bataille.
La motte qu’ils ont soulevée
était pour elle une pierre,
son douloureux tambourinage
une danse de colère
disparue entre les coutures épaisses
qui maintenant resserrent sa poitrine
sur elle-même. Elle est perdue sous terre
sans Orphée ni guide. C’est le labyrinthe
sans le minotaure ; là où la fraîche
découpe bleue du ciel est un souvenir
évanescent. Elle sait bien que ceci
est un conte de fée macabre,
où des touffes de cheveux sont arrachées
pour tresser une cordequi la ramène à la surface,
ou alors sont posées par terre dans les forêts obscures comme des indices pour son retour.
Il n’y a personne d’autre, juste ce corps et sa tête autrefois si brave qui tourne sur elle-même
sous les étoiles scintillantes du sol.
Ceci est le voyage où une femme
se métamorphose en jeune fille dont la vertu
déjoue le mal, et cherchant son courage
plutôt que de hurler la tête entre les mains,
trouve la bonté où elle n’aurait jamais regardé. C’est regarder qui est le plus difficile,
faire face au futur d’un œil clair qui implore : renvoyez les noirs corbeaux, les dragons du pays de la mort,renvoyez les sorcières, les vieillardes, les hommes fous, les chevaux sauvages ;
Je trouverai mon chemin
pour rentrer à la maison.
Adrienne Eberhard, poète australienne, est née en 1964 ;
elle vit et enseigne au bord d’Entrecasteaux Channelau
sud de Hobart en Tasmanie (Australie). Son premier livre Agamemnon’s Poppies est sorti en 2003 . Son second, This woman, dont sont extraits ces deux poèmes, en 2011.
From blossoms
From blossoms comes
this brown paper bag of peaches
we bought from the boy
at the bend in the road where we turned
toward signs painted Peaches
From laden boughs, from hands,
from sweet fellowship in the bins,
comes nectar at the roadside, succulent
peaches we devour, dusty skin and all,
comes the familiar dust of summer,
dust we eat.
O, to take what we love inside,
to carry within us an orchard, to eat
not only the skin, but the shade,
not only the sugar, but the days, to hold
the fruit in our hands, adore it, then bite into
the round jubilance of peach.
There are days we live
as if death were nowhere
in the background; from joy
to joy to joy, from wing to wing,
from blossom to blossom to
impossible blossom, to sweet impossible
blossom.
Des véraisons
Des véraisons,
ce sac papier kraft empli de pêches
que nous avons acheté au garçon
dans le tournant de la route empruntée
à la vue des panneaux peints à la main :
pêches.
Des rameaux chargés, des mains,
des bennes odoriférantes où
elles s’entassent,
un nectar du bord de la route : succulentes
pêches que nous dévorons avec la peau, non lavées,
avec la poussière familière de l’été,
que nous mangeons.
Ah, pour prendre ce que l’on aime dedans,
pour porter en nous ce verger à l’intérieur,
pour manger
avec la peau, l’ombre,
avec le sucre, les jours ; pour tenir
le fruit dans nos mains, l’adorer,
puis mordre
au renflement jubilatoire de la pêche.
Nous vivons certains jours
la mort nulle part
en arrière-plan, de joie en joie, d’aile en
aile,
de véraison en véraison
en impossible véraison,
en suave impossible véraison.
Li-Young Lee est né à Djakarta, Indonésie en 1957, dans une famille d'exilés politiques chinois. L’arrière-grand-père de Lee a été le premier président de la République de Chine et le père de Lee fut le médecin personnel de Mao Zedong ; arrêté et détenu comme prisonnier politique pendant un an, il a fui avec sa famille par Hong Kong, Macao et le Japon, arrivant aux États-Unis en 1964 à Seattle puis en Pennsylvanie, où le Dr Lee a fréquenté le séminaire et est finalement devenu un pasteur presbytérien dans la petite communauté de Vandergrift. Etudiant de l'Université de Pittsburgh, où il a étudié avec Gerald Stern, iLi Young Lee y enseigne toujours. Il a publié une dizaine de recueils et ce poème est tiré de Behind my eyes.
Adrienne Eberhard Li Young Lee
Le labyrinthe, Chant d'eau (anglais d'Australie), SECOUSSE 1 Des véraisons (anglais d'Amérique), SECOUSSE 9