top of page

Li Young Lee

 poème (anglais d'Amérique) SECOUSSE 9                   

Jane-Lady-Franklin-cover-760x330.jpg

Water music

1

Curled on the couch, I read Heaney,

the earlier, watery poems

where the words themselves seem wet;

they lap and spill from the pagelike the run of stars on a cold night.

The river is grey with drifts

of wind stroking it to ripples

–fish scales, turtle shells –

one lane remains untouched,

blue-silver as sleek dolphin backs.

I turn the pages and Undine

unfolds her yielding body,

gleaming like mercury,

the seal woman dips her skin

and returns to cool current.

My son cries from his cot,

his voice matching the cartwheel

-call of gulls across the water.

I lift my head and the Channel

is all mirror; lullaby calm.

The net the fishermen pull

is full of grief: the stilled voice

of a tiny child, mouth lugging

water to pores and cells;

limbs washed to myth.

As the river lifts its face

to the shrouded sky, the soft dance

of rain is the sound of my boys

plashing in peat-dark puddles,

their joy a dance of water.

2

2am. The sky is awash

with milky stars, the breeze

scudding the sea to peaks.

I'm listening to faint notes

rising like bubbles in a glass,

they lift off the waves, and haunt

my footsteps on the damp grass.

I've come for wood.

The darkness and cool wind

wrap around me, sifting

the indentations my feet make.

I lean into trees, feel night-breath

gust past, filling me with shadowy wings:

fleet lift of owl slashing the black,

soft flap a foil for scissor-sharp cut, face like foam blown from a wild sea.

And I hear the cry,

the piercing anguish

that could be mouse-shriek, rabbit-fear,

but  know it as my child pulled from the deep like a netted fish gasping for air.

The notes are gone, the garden dark and filled with the turned-away faces of stars.

Chant d'eau

1

Enroulée sur le divan je lis Heaney,

les premiers poèmes liquides

les mots eux-mêmes semblent mouillés ;

ils clapotent et s’écoulent de la page,

parcours d’étoiles dans une froide nuit.

La rivière est grise des mouvements

du vent qui la caresse et la plisse

–écailles depoisson, carapaces de tortue –

un passage reste lisse, bleu-argent

comme les dos vifs des dauphins.

e tourne les pages et Ondine

déploie son corps consentant,

étincelant comme du mercure,

la femme phoque trempe son pelage

et retourne dans le frais courant.

Mon fils pleure dans son berceau,

sa voix assortie au cri d’essieu

des mouettes en travers de l’eau.

Je lève la tête et le détroit n’est qu'un miroir ; berceuse accalmie.

Le filet que ramènent lespêcheurs

est plein de chagrin : la voix calmée

d’un petit enfant sa bouche acheminant

l’eau jusqu’aux pores et aux cellules ;

ses membres emportés jusqu’au mythe.

Comme la rivière soulève sa surface

jusqu’au ciel voilé, la douce danse

de la pluie est le chant de mes garçons

qui pataugent dans des flaques

noires de tourbe, leur joie

une danse liquide.

2

Deux heures du matin. Le ciel est inondé

par la voie lactée, la brise

hérisse la mer de pics.

J’écoute des notes indistinctes

montant comme des bulles

dans un verre, elles s’échappent

des vagues, et poursuivent

mes pas dans l’herbe humide.

Je suis venue chercher du bois.

L’obscurité et le vent frais

m’enveloppent et tamisent

la marque de mes pas.

Je me penche vers les arbres,

je sens l’haleine de la nuit

passer en rafales, m’emplissant d’ailes ombreuses : le rapide envol

de la chouette lacère le noir,

doux battement d’une feuille

au tranchant des ciseaux, sa face

comme l’écume soufflée

de la mer sauvage.

Et j’entends l’appel,

la vrillante angoisse

qui pourrait être couinement de souris,

peur de lièvre, mais je le reconnais :

c’est celui de mon enfant

tiré des profondeurs

comme un poisson pris au filet,

asphyxié par l’air.

Les notes se sont tues,

le jardin noir plein

du visage renversé des étoiles.

 

The maze

Mud is what she remembers most,

the kind that sucks and slurps

as it betrays the body,

quick sand pulling her to where

air is thick with gravel,

where her body is a battlefield.

The lump they lifted clear

was stone to her, its hurtful

drumming like a dance of anger

vanished in the thick seams

that now bind her breast back to itself.

She is lost, underground, without

Orpheus or any guide. This is the maze

without the minotaur; where the fresh

blue cut of sky is a fading memory.

Mostly she knows this is a fairy tale,

a grim one, where swathes of hair

are hacked off to plait a rope

to lead her to the surface, or else to lay

in patterns in the darkening woods

to puzzle her way back. There is no one

else at all, just this body

and her once brave head spinning

under the soil’s glittering stars.

This is the journey where a woman

is shape-changed to a youth whose virtue

defeats evil, craving courage

instead of head-in-hands howling,

finding kindness where normally

she would not look.

It is looking that is most difficult,

facing the future with a clear-eyed gaze

that claims :send black ravens,

dragons from the west country,send hags, crones,

mad men, wild horses;I will find my way home.

Le labyrinthe

La boue dont elle se souvient le mieux

de celle qui pompe et suce

de celle qui trahit le corps,

sable mouvant tirant vers là

où l’air est épaissi de graviers, là

où son corps est un champ de bataille.

La motte qu’ils ont soulevée

était pour elle une pierre,

son douloureux tambourinage

une danse de colère

disparue entre les coutures épaisses

qui maintenant resserrent sa poitrine

sur elle-même. Elle est perdue sous terre

sans Orphée ni guide. C’est le labyrinthe

sans le minotaure ; là où la fraîche

découpe bleue du ciel est un souvenir

évanescent. Elle sait bien que ceci

est un conte de fée macabre,

où des touffes de cheveux sont arrachées

pour tresser une cordequi la ramène à la surface,

ou alors sont posées par terre dans les forêts obscures comme des indices pour son retour.

Il n’y a personne d’autre, juste ce corps et sa tête autrefois si brave qui tourne sur elle-même

sous les étoiles scintillantes du sol.

Ceci est le voyage où une femme

se métamorphose en jeune fille dont la vertu

déjoue le mal, et cherchant son courage

plutôt que de hurler la tête entre les mains,

trouve la bonté où elle n’aurait jamais regardé. C’est regarder qui est le plus difficile,

faire face au futur d’un œil clair qui implore : renvoyez les noirs corbeaux, les dragons du pays de la mort,renvoyez les sorcières, les vieillardes, les hommes fous, les chevaux sauvages ;

Je trouverai mon chemin

pour rentrer à la maison.

Adrienne Eberhard, poète australienne, est née en 1964 ;

elle vit et enseigne au bord d’Entrecasteaux Channelau

sud de Hobart en Tasmanie (Australie). Son premier livre Agamemnon’s Poppies est sorti en 2003 . Son second, This woman, dont sont extraits ces deux poèmes, en 2011.

From blossoms

From blossoms comes

this brown paper bag of peaches

we bought from the boy

at the bend in the road where we turned

toward signs painted Peaches

From laden boughs, from hands,

from sweet fellowship in the bins,

comes nectar at the roadside, succulent

peaches we devour, dusty skin and all,

comes the familiar dust of summer,

dust we eat.

O, to take what we love inside,

to carry within us an orchard, to eat

not only the skin, but the shade,

not only the sugar, but the days, to hold

the fruit in our hands, adore it, then bite into

the round jubilance of peach.

There are days we live

as if death were nowhere

in the background; from joy

to joy to joy, from wing to wing,

from blossom to blossom to

impossible blossom, to sweet impossible

blossom.

Des véraisons

Des véraisons,

ce sac papier kraft empli de pêches

que nous avons acheté au garçon

dans le tournant de la route empruntée

à la vue des panneaux peints à la main :

pêches.

Des rameaux chargés, des mains,

des bennes odoriférantes où

elles s’entassent,

un nectar du bord de la route : succulentes

pêches que nous dévorons avec la peau, non lavées,

avec la poussière familière de l’été,

que nous mangeons.

Ah, pour prendre ce que l’on aime dedans,

pour porter en nous ce verger à l’intérieur,

pour manger

avec la peau, l’ombre,

avec le sucre, les jours ; pour tenir

le fruit dans nos mains, l’adorer,

puis mordre

au renflement jubilatoire de la pêche.

Nous vivons certains jours

la mort nulle part

en arrière-plan, de joie en joie, d’aile en

aile,

de véraison en véraison

en impossible véraison,

en suave impossible véraison.

 

Li-Young Lee est né à Djakarta, Indonésie en 1957, dans une famille d'exilés politiques chinois. L’arrière-grand-père de Lee a été le premier président de la République de Chine et le père de Lee fut le médecin personnel de Mao Zedong ; arrêté et détenu comme prisonnier politique pendant un an, il a fui  avec sa famille par Hong Kong, Macao et le Japon, arrivant aux États-Unis en 1964 à Seattle puis en Pennsylvanie, où le Dr Lee a fréquenté le séminaire et est finalement devenu un pasteur presbytérien dans la petite communauté de Vandergrift. Etudiant de l'Université de Pittsburgh, où il a étudié avec Gerald Stern, iLi Young Lee y enseigne toujours. Il a publié une dizaine de recueils et ce poème est tiré de Behind my eyes.

chant d'eau.jpg

Adrienne Eberhard                                                   Li Young Lee

Le labyrinthe, Chant d'eau (anglais d'Australie), SECOUSSE 1                                                                                      Des véraisons (anglais d'Amérique), SECOUSSE 9                                   

bottom of page